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Après le Kosovo...

 

Il est fort difficile de tenir un débat suivi sur la question du Kosovo dans un journal qui paraît tous les trois mois comme Pourquoi Pas ? En effet, les nouvelles se succèdent rapidement, et les informations qui nous parviennent sont souvent contradictoires.

Rappelons le fond de notre position sur la guerre qui voient de s’achever (ou plus précisément dont la première phase vient de se terminer). D’abord nous avons toujours affirmé (cf. Pourquoi Pas ? n° 37, publié pendant le conflit) que le gouvernement national-fasciste de Milosevic est bien le grand coupable de crimes contre l’humanité en organisant une partition ethnique du Kosovo, avec les drames et les horreurs qui lui sont associés. Ensuite, nous avons précisé que face à une telle barbarie, qui se déroule village par village, maison par maison, les bombardements ne sont pas une solution. Pire encore, les bombardements, parce qu’ils ressoudent les rangs serbes et qu’ils attisent les haines des paramilitaires ont ouvert les digues à des atrocités sans nom de la part des supplétifs civils et des groupes avinés de l’armée serbe. En particulier, l’utilisation du viol des femmes kosovares comme arme de guerre par les serbes relève des pratiques indamissibles qui doivent être jugées. Enfin, nous soulignions que l’aide aux démocrates de Serbie est la clé d’une solution aux conflits dans les Balkans. Nous pensons notamment qu’une telle aide doit être publique, officielle, désignant conjointement plusieurs partis et les associations de défense des droit de l’homme, et qu’elle indique clairement le choix des démocraties européennes pour le renversement d’un régime fasciste, ce qui la distingue des maneuvres en sous-main, modèle CIA.

Ces éléments clés de notre position sont aussi partagés par de nombreuses forces tant politiques qu’associatives ou simplement de journaux cherchant à comprendre plutôt qu’à lancer des excommunications (Politis, Le Monde Diplomatique,...). Car le silence sur les débats nécessaires a été imposé par une surcharge de bruit, un déluge d’informations non-vérifiées, prises directement à la source du QG de l’OTAN à Bruxelles et livrées avec simplement un zeste de recul par les médias. Même si elle ont été échaudées par la Guerre du Golfe, les médias sont pour autant toujours aussi prête à servir de relais aux militaires. Une vieille tradition française, puisque c’est pour décrire la presse de la grande guerre qu’en 1918 le journaliste Albert Londres à inventé le terme de bourrage de crâne. Si la presse écrite est restée plutôt ouverte au débat, on ne peut guère en dire autant de la télévision et des radios, notamment, et c’est plus grave, de la radio nationale. Les opposants à la guerre ont été soit ridiculisés, soit traités de collaborateurs avec le fascisme, de munichois, d’individus défendant le pacifisme pour leurs petits intérêts mais prêts à laisser le peuple kosovar sous le joug. Et plus les médias ont été silencieux depuis 10 ans face aux tragédies des peuples d’ex-yougoslavie, plus la surenchère était vive.

Le monde politique n’est pas non plus resté absent des débordements de pensée militaire unique, depuis Daniel Cohn-Bendit qui a gagné ses galons jusqu’au Président de la République qui s’est félicité du rôle de la France. Le secrétaire (socialiste, faut-il le rappeler) de l’OTAN, Javier Solanas a obtenu un poste européen... pour les affaires étrangères, ce qui en dit long sur la volonté d’indépendance face à la puissance américaine de la commission européenne de Romano Prodi.

Mais tout ce déchaînement de belles paroles commence à faire place aux faits réels. Et l’on commence à s’apercevoir que le « droit-de-l’hommisme » de nos commentateurs s’est fait au détriment des droit de l’homme, des droits à la vie et au respect des hommes et des femmes réels, qui vivaient vraiment au Kosovo. Ce sont les organisations humanitaires qui les premières ont tiré la sonnette d’alarme, en refusant de jouer les figurants dans un film dont l’action principale fut de laisser sans défense un peuple entier. Dénonçant le manque de moyens pour l’aide dans les camps de réfugiés, soulignant la présence très forte des mafias albanaises de la drogue et de la prostitution qui organisaient le tri et la sélection de leurs gibiers à l’arrivée des réfugiés... Puis sont venues les associations de femmes qui ont soulignée combien le viol fut une arme terrestre employée par les armées serbes pour désorganiser la société kosovare et humilier une génération entière de femmes. Et finalement, ce sont les responsables militaires qui ont dénoncé une action inadaptée. Doublement indaptée : d’une part à la protection des populations (la propagande « humanitaire » de l’OTAN aurait du s’effondrer dès la vue des premières colonnes de réfugiés) mais d’autre part aux règles de la guerre (le bombardement des populations civiles et la logique de punition collective qui fut à l’oeuvre en Serbie ne fait pas partie des règles de la guerre, et pourrait être utilisée par la défense devant le TPI, ce qui aboutirait à renforcer les positions des assassins et offrir à Milosévic une nouvelle chance de s’en sortir).

Pour autant, d’aucuns oublient, maintenant que la « paix » serait revenue, toutes ces bavures, ces dégâts collatéraux, dont le pire fut l’abandon du peuple kosovar sur le terrain après le retrait des observateurs de l’OSCE. La situation actuelle est-elle le produit des bombardements ? Pas directement. C’est la diplomatie qui s’est mise en branle pour obtenir le retrait des forces serbes. Une diplomatie armée certes, mais qui a réussit à obtenir la signature d’un accord de paix qui est plus favorable à Milosevic que l’accord de Rambouillet ! Belle victoire... à moins que la vrai dimension de cette guerre ne soit pas à chercher directement dans l’affaiblissement de Milosevic.

Car le dictateur reste toujours là, malgré les bonnes âmes qui nous ont dit qu’il s’agissait d’une guerre de la démocratie contre le fascisme, une guerre pour des « valeurs », sans jamais voir les morts civils kosovars. Des morts qui s’accumulaient par le fait même du déclenchement des hostilités aériennes en lieu et place d’un renforcement des actions d’interpositions autour des observateurs de l’OSCE. La puissance étatsunienne reste là aussi, établissant pour longtemps un porte-avion terrestre en Albanie, contrôlant l’accès en Europe du pétrole qui viendra bientôt du Caucase (le « huitième corridor », pipe-line et voie de communication situé dans la zone des combats et dont le financement a été voté par le congrès US durant la guerre).

Et le partage ethnique du Kosovo continue son chemin, les serbes et les tziganes, étant maintenant contraints à l’exil. Car en effet, la capacité à faire cohabiter les peuples au Kosovo s’est trouvée largement entamée par les atrocités de la guerre. Et on le comprend bien. Surtout qu’aujourd’hui encore la justice n’est pas faite. La guerre a sanctionné une victoire du pays le plus armé du monde... mais n’a pas amené la justice. Tant que les crimes des armées serbes, des paramilitaires, et de ceux qui les ont encouragés (les « intellectuels » nationalistes) ou organisés (le pouvoir de Milosevic) n’auront pas été jugés, les demandes répétées de Kouchner à la bonne volonté des kosovars ne peuvent pas être écoutées. Or de ce point de vue, les choses avancent lentement. Là encore, c’est parce que le sort de Milosevic dépend principalement des opposants démocratiques serbes. Et dans le soutien que nous pouvons leur accorder. Nous voici revenus à la case départ. Les manifestations de l’opposition sont certes importantes, mais plus faibles encore qu’en 97. Et le programme d’échange qui est proposé aux serbes (l’argent pour reconstruire contre le départ de Milosevic) risque malheureusement d’avoir autant d’effets que le même programme appliqué aux Irakiens : contribuer à appauvrir la population, notamment les enfants, et renforcer le dictateur. On ne change pas une stratégie perdante !

Non, il n’y a pas lieu de se réjouir des événements des derniers mois. La disproportion entre les grand thèmes agités à bout de bras par des médias aux ordres et la réalité matérielle de la vie des peuples des Balkans est en train de devenir visible. Les conditions de la reconstruction d’une zone pacifiée (dans les coeurs et dans les conditions de vie) ne sont toujours pas réunies.

Et dans ce tableau qui n’est guère réjouissant, nous devons surtout admettre nos torts : nous n’avons jamais su organiser une force de gauche française et européenne suffisamment crédible pour ouvrir d’autres perspectives que la guerre de l’OTAN. Quand la social-démocratie fait rupture avec ses positions traditionnelles sous la pression de Clinton et Blair, il ne reste plus qu’à négocier sur la position des virgules pour nous convaincre de la différence de la « gauche plurielle » française. Juste pour garder le courage de nous atteler à la construction d’une véritable force opposée au libéralisme, attachée au règlement pacifique des conflits et au respect des droits de l’homme par la mobilisation sur place et l’organisation partout de la résistance. Un vaste programme dont la guerre des Balkans a souligné l’urgence et l’enjeu pour que les valeurs du vingt-et-unième siècle soient celles de l’humanité, de la mondialisation des peuples, de la solidarité et de la justice sociale.

30 juin 1999


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