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Adieu les enfants

Les enfants de 12 ans en taule

 

Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu ne mérite ni l’un ni l’autre (Tomas Jefferson) ... C’est pourtant bien ce qu’ils veulent nous faire faire

Comme prévu, la commission Varinard vient de recommander de mettre en prison des enfants de 12 ans, et de faire un sérieux accroc dans l’ordonnance de 1945 sur la protection de l’enfance. Le « bon sens » dit Dati.

On peut se dire qu’avec sa composition réactionnaire, proche de l’extrême droite, elle aurait pu faire pire et recommander l’incarcération à 10, 8 ... et pourquoi pas 3 puisque le dénommé Lefebvre, porte parole de l’UMP et digne successeur de Bénisti Le rapport Benisti n’est pas un acte isolé, a découvert que c’est à cet âge que l’on peur repérer les délinquants (et pourquoi pas les mettre sous surveillance ou hors d’état de nuire).

La commission comme il faut

Outre son président, collègue de Bruno Goldsmith, cette commission comportait tout un choix d’élus de la partie la plus réactionnaire de l’UMP :pour plus de renseignements voir le site visa http://isa.isa-geek.net/node/191.

Il n’est pas étonnant que des gens ayant de tels a-priori idéologiques soient sensibles à une demande sécuritaire. Mais on peut penser aussi qu’intellectuellement ils aient du mal à comprendre la position philosophique qui sous-tend l’ordonnance de 45 issue d’une expérience qui n’est pas la leur.

En bref la commission a fait ce que le pouvoir attendait d’elle et sa nomination, sa composition n’est pas technique mais politique. C’est pourquoi ont été exclus les syndicats du secteur éducatif et de la magistrature mais aussi l’Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille, association professionnelle concernée au premier chef puisque la justice des mineurs est son quotidien.

Mais cette commission ne se contente pas de fonctionner sur des présupposés idéologiques qui nient le apports de dizaines d’années de science humaines, elle est aussi fondée sur un mensonge concernant la délinquance des mineurs. La ministre, répétant les propos d’un ex-ministre de l’intérieur, ne cesse d’asséner des fausses évidences sur l’augmentation de la délinquance juvénile promue au rang de fléau social majeur menaçant notre société.

Dans son discours lors de sa nomination Varinard pose cette affirmation fausse comme base du travail de la commission. Rien d’étonnant alors que la conclusion soit de répondre à ce danger par un durcissement de la répression. Il est vrai que cette thèse est largement comprise dans l’opinion et prise pour argent comptant par les médias. Il est vrai que notre petit timonier a apporté lui même une contribution inestimable à la science en nous disant que puisque les enfants sont plus grand ils sont plus dangereux : comme si la taille physique suffisait à faire perdre la condition d’enfant de l’ordonnance de 45, celle d’une personne en développement qui ne peut être traitée comme un adulte.

Apprendre à compter à Madame Dati

Et puis malheureusement pour Sarkozy, Dati et leurs séides, les chiffres sont têtus et viennent invalider les thèses officielles sur l’augmentation de la délinquance des mineurs, sur le rajeunissement des délinquants « méchants de plus en plus jeunes », sur la part des mineurs dans la délinquance qui reste par exemple 8 fois moins importante que celle des plus de 60 : si l’on suivait les chiffre c’est un renforcement de la justice contre la délinquance des seniors qu’il faudrait.

Vous trouverez ci-dessous l’article de Laurent Mucchielli dont la rigueur scientifique est incontestable ( mais sans doute trop difficile à comprendre pour Arlette Chabot qui a laissé sans critique Dati débiter sa propagande). Il contredit totalement les pseudo études produites par les marchands de soupe sécuritaire, ceux qui font leur beurre sur la marchandisation de la peur sécuritaire. Lisez sur Rue 89 et diffusez le texte de Mucchielli, mais prenez aussi la peine de lire les commentaires si vous voulez aller plus loin http://www.rue89.com/2008/11/25/dat....

Mais alors pourquoi cet acharnement contre les jeunes alors que ce problème de la délinquance juvénile n’a pas l’acuité qu’on lui prête ?

Pourquoi mettre à bas l’ordonnance de 45 alors que tout le monde voit que l’empilement des lois sécuritaires est sans effet (sauf pour celle et ceux qui subissent la détention accrue !) sur la délinquance qui nous dit on même dans le discours officiel s’aggrave ?

Pourquoi sur la base d’un tel aveu d’échec, les lois votés depuis quelques années ne servent à rien, s’obstiner dans cette voie ?

C’est en dehors de la délinquance qu’il faut chercher la réponse au délire sécuritaire. Tout ces dispositions servent :

-  à entretenir une politique de la peur et de la méfiance qui permette le « tous contre tous »

-  à promouvoir des outils de répression et une dérive antidémocratique du fonctionnement des appareils répressifs dans un sens totalitaire soumettant tout citoyen « suspect à priori » à ces appareils.

-  à produire au quotidien une vision libérale du monde et de la vie en société qui transforme les pauvres en responsables de leur état et en coupables potentiels pour l’ordre social au sein duquel ils sont perdants.

La politique de la peur :

L’insécurité et d’abord l’insécurité sociale existe bien, les conditions de vie dans les quartiers populaires se sont dans nombre d’endroits dégradées. De façon plus générale, l’individualisation a cassé les collectifs et conduit chacun à se méfier de l’autre. Cette suspicion généralisée conduit à considérer l’autre comme un danger potentiel.

Mais cette suspicion peut aussi bien se retourner contre les vrais responsables de la situation, il faut donc trouver des responsables, des boucs émissaires vers lesquels les pouvoirs vont détourner les peurs. Hortefeux joue sur la peur de l’invasion étrangère qui viendrait nous voler notre pain mais c’est insuffisant.

Dans une société qui vieilli, où les jeunes sont particulièrement victimes de la précarité, de la pauvreté quelle meilleure cible que cette jeunesse qui bouge s’attirant spontanément les foudres de tous ces Beaufs nostalgiques de leur bon temps. Le procès de l’incendie de L’Haye les Roses est tout à fait significatif : ce sont les jeunes filles qui sont les cibles principales et la responsabilité du bailleur est largement occultée dans les discours sur cette affaire.

La fonction de l’agitation politico-médiatique sur la délinquance juvénile a donc pour fonction de cristalliser les peurs sur un groupe désigné comme coupable avant d’avoir fait quoi que ce soit et d’obtenir l’adhésion à des mesures coercitives (et de surveillance) accrues.

Elle permet aussi une délégation de plus en plus grande à l’Etat même au prix de l’abandon de libertés élémentaires.

L’Etat pénal

Ces dernières années ont vu une véritable inflation de lois pénales qui renforcent considérablement les pouvoirs de la police sur les citoyen-nes-s, qui réduisent les possibilités de défense. Certes Sarkozy n’a pas été aussi loin qu’il le voulait : le fichage systématique des enfants, les maires pouvant sanctionner des comportements même s’il n’y a pas délits, la remise en cause des droits des malades mentaux.. ne sont pas passés.

Heureusement pour notre démago qui n’aurait plus la possibilité d’annoncer une nouvelle loi à chaque événement médiatique, pour alimenter en continu la politique de la peur dont nous parlions plus haut. Ils ne se calment pas et voile l’UMP qui reprend le fichage, Sarko qui veut enfermer le malades mentaux de façon plus rigoureuse et même avec des bracelets réservés au condamnés...

Mais le plus grave ce n’est pas l’inflation de ces lois, donc l’efficacité technique en termes de répression est loin d’être évidente par rapport aux lois antérieures, c’est le pouvoir que la mise en avant du danger délinquance donne aux membres des appareil répressifs au détriment des garantie données aux citoyens. Il a fallu qu’un journaliste soit traité comme un jeune de banlieue pour que sorte avec force ce qui fait le quotidien du traitement des citoyens par les « forces de l’ordre ». On découvre que le collège de Marciac n’est pas un incident isolé, un forfait commis par des « gendarmes fous » mais par l’ensemble des institutions publiques : un proviseur, un colonel, une procureure...

Je crois qu’il faut remercier cette dernière de ses déclarations à la presse qui permet de comprendre le pourquoi de ces interventions scandaleuses où, comme dans le débat sur l’ordonnance de 45, la qualité d’enfant est niée : menaces avec des chiens , fouilles à corps tout ça c’est la procédure nous disent les autorités ! C’est nous dit Mme La procureure « les élèves ont peur des contrôles. Ca créé de la Bonne insécurité, satisfaisante en matière de prévention ».

Elle justifie, elle théorise même ainsi des pratiques de terrorisme d’Etat : par celui qui consiste à poser des bombes mais celui qui vise à terroriser une partie de la population pour l’empêcher de nuire. Il s’agit aussi d’habituer les jeunes à se soumettre à « l’autorité » en abdiquant leurs droits de citoyens : « l’ironie » du gendarme qui dit à un jeune dont l’ordinateur vient d’être cassé par le chien renifleur dans un autre établissement scolaire « tu peux toujours porter plainte.. ; » est tout à fait significative : pour ce pandore les droits du citoyens sont de la rigolade !

L’affaire de Marciac et sa publicité fait remonter à la surface que ce n’est pas un cas isolé, d’ailleurs une semaine avant un enseignant témoignait sur le répondeur de Daniel Mermet, mais l’article sur Rue 89 fait sortir de multiples témoignages ;

Nous allons voir dans les jours qui viennent ce que va faire concrètement le gouvernement dans cette affaire : des sanctions rapides s’imposent, c’est le seul moyen en frappant fort les coupables de telles exactions de freiner la poursuite de ces dérives.

Si tel n’est pas le cas, alors il sera clair que ce gouvernement cautionne, encourage de telles dérives totalitaires, que ce ne sont pas des fautes personnelles isolées : le roitelet sera nu. Quand l’efficacité technique de l’Etat prime sur le respects des principes alors la démocratie est bien malade

Une vision du monde régressive et réactionnaire

Derrière cette mise scène nouvelle de « classes laborieuse, classes dangereuses », c’est bien la vision du monde de la classe dirigeante du début de XIXème siècle qui revient en force.

C’est une pensée qui remet en cause la conception même de la philosophie républicaine qui avait tant fait peur aux émigrés d’alors comme mai 68 fait peur à leurs arrières petits enfants d’aujourdhui.

Guaino a beau s’ingénier à donner aux discours une apparence républicaine, Sarkozy véhicule une vision du monde où les natures humaines différentes expliquent la place dans l’organisation sociale.

Bien sûr ce n’est pas aussi clair que les discours de Dakar sur les noirs infantiles par nature, mais c’est la même inspiration. Sans revenir sur les déclarations de Sarkozy-candidat sur la génétique, le repérage des enfants de 3 ans traduit une vision de la prédominance de l’inné sur le social : il y en a qui sont dangereux par naissance même si cela ne se révèle qu’à 3ans. Et on ne sait pas bien s’ils peuvent être guéris un s’il faut se contenter de les surveiller et de les enfermer.

Ce qui fonde une telle démarche c’est l’idée que ces gens là, les délinquants, ne sont pas nos semblables, mais sont d’une nature différente. Le traitement des « délinquants sexuels », la rétention de sûreté et les bases théoriques de cette loi est révélatrice de cette conception de la « division naturelle » des humains. Que reste t-il dans cette conception de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen «  les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits  ».

Habituer la population à traiter l’autre comme différent, à voir dans l’autre un ennemi, promouvoir l’idée du « tous contre tous » contre le « tous ensemble » est aussi une des cibles de ce « délire sécuritaire ».

Avec l’acceptation des exigences liberticides de l’Etat, cette lutte idéologique se fait au quotidien, dans la mise en scène des faits divers qui génère peur et soumission.

4 décembre 2008


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