Voilà des éléments de réflexion essentiels pour la tâche centrale que nous nous donnons aujourd’hui, celle de lier social et ecologie dans une démarche d’alternative radicale indispensable face à la crise du système capitaliste néolibéral.
Le livre de Daniel Tanuro
La préface de Michel Husson, mars 2010
Ce livre est une contribution décisive à la définition d’un projet écosocialiste qui permette de dépasser les
contradictions - ou au moins de réduire la distance - entre la critique du capitalisme et l’écologie.
La tâche pouvait sembler insurmontable. En caricaturant un peu, il y a eu longtemps d’un côté un
mouvement ouvrier baignant dans le productivisme et faisant de la croissance la solution à tous les
problèmes ; et de l’autre, une écologie profonde qui allait souvent jusqu’à suggérer que la surpopulation
était la source de tous les maux. Beaucoup de chemin a été parcouru et le processus de convergence s’est
engagé autour de deux basculements. Du côté des partis de gauche et des syndicats, la prise en compte du
défi climatique a progressé. Sur l’échiquier politique français, le Parti de gauche met en avant l’idée d’une
planification écologique, des « décroissants » ont rejoint le Nouveau Parti Anticapitaliste, et Europe
Ecologie est devenue le partenaire privilégié du Parti socialiste. Il s’agit bine sûr d’une longue marche : les
contradictions entre défense de l’emploi et protection de l’environnement n’ont pas disparu, comme le
montre l’exemple d’AZF à Toulouse, et les généralités sur la création d’« emplois verts » ne prennent pas
forcément la mesure des enjeux.
Du côté des écologistes, on peut observer un processus symétrique qui consiste à se dégager de la gangue
d’un pur environnementalisme et à comprendre que l’écologie est une question éminemment sociale. Là
encore, la convergence n’est pas immédiate, comme en témoignent les positions discordantes sur la taxe
carbone ou le nucléaire.
Pour que les choses continuent à avancer, il faut d’abord prendre conscience de l’urgence des mesures à
prendre face au réchauffement climatique. Le livre de Daniel Tanuro paraît au moment où se déploie
l’offensive des « climato-sceptiques » emmenée en France par Claude Allègre. L’objectif est de délégitimer
le GIEC, et tous les moyens sont bons. On pirate (à partir de la Russie ou de l’Arabie saoudite) des courriels
dont on extrait le terme trick pour faire croire à un trucage alors qu’il s’agit d’une de ces astuces dont usent
les scientifiques, non pour truquer les données mais pour les traiter : il s’agissait en l’occurrence de relier
deux séries de données discontinues. On pointe une faute de frappe (2035 au lieu de 2350 à propos de la
fonte des glaciers dans l’Himalaya) pour dénoncer un prétendu catastrophisme et, dans le cas d’Allègre, on
accumule les citations erronées et les graphiques truqués ou tronqués.
Tout ceci est dérisoire et l’analyse détaillée de Daniel Tanuro constitue une réponse anticipée à ces contreattaques
inspirées par les lobbies. Elle va encore plus loin en montrant au contraire que les
recommandations du GIEC sont probablement sous-calibrées et qu’une série de phénomènes sont sousestimés
comme les processus non linéaires sur lesquels James Hansen, le climatologue en chef de la Nasa,
insiste particulièrement. En tout cas, il faut prendre les objectifs du GIEC comme un minimum.
Le réchauffement climatique est par définition un phénomène planétaire mais son impact n’est pas
géographiquement ni socialement neutre. C’est un autre fil directeur de l’ouvrage. Les immigrés
climatiques ne sont pas répartis aléatoirement sur la planète et appartiennent, pour l’immense majorité,
aux régions les plus défavorisées du globe. Et la question de savoir qui va payer les mesures à prendre est
éminemment sociale. De ce point de vue, l’idée avancée notamment par les Verts allemands, de
compenser auprès des entreprises les taxes écologiques par une baisse des cotisations sociales est
suicidaire, puisqu’elle revient à transformer toute mesure écologique en offensive anti-sociale.
L’apport décisif de Daniel Tanuro est ici de montrer que la dégradation climatique ne peut être dissociée du
fonctionnement « naturel » du capitalisme. Ses réussites, mesurées en termes de productivité, ont été
extraordinairement coûteuses en émissions de CO2. Toute la question est de savoir s’il est possible de lui
faire payer ces « coûts » grâce à des correctifs marchands, écotaxe ou marché des permis d’émissions. On
trouve dans le livre de Daniel Tanuro les arguments qui permettent de comprendre pourquoi il s’agit d’une
illusion dangereuse. Ce type de solution est en réalité conçu pour rentabiliser un segment de capitalisme
vert, sur lequel plusieurs pays parient comme locomotive d’une nouvelle croissance. Mais on impose en
même temps une condition, celle de ne pas peser sur les conditions générales de la rentabilité. On pourrait
modéliser cette idée en disant que les politiques de réduction d’émissions seront menées jusqu’au point où
elles font baisser le taux de profit. Et ce point reste bien en-deçà des objectifs du GIEC.
Il y une autre borne à l’extension du capitalisme vert, qui est le respect de la concurrence comme principe
économique essentiel. Tout récemment, le premier ministre français a justifié l’abandon de la taxe carbone
par le risque de « plomber la compétitivité » des entreprises françaises. Si l’on veut atteindre les objectifs
calibrés par le GIEC, il faut effectivement instaurer des formes de planification et de coordination à l’échelle
du globe, qui passent notamment par des transferts de technologie vers les pays en développement. Or,
une telle organisation du monde est rigoureusement incompatible avec la logique concurrentielle du
capitalisme.
L’ampleur des mutations nécessaires est le fondement objectif de la convergence écosocialiste. La lutte
contre le défi climatique suppose en effet une véritable révolution dans la manière dont l’humanité répond
à ses besoins. Elle implique de réduire les modes de satisfaction marchands de ces besoins, de baisser la
durée du travail et de concevoir des biens sobres et durables. La consommation marchande est en grande
partie une consommation de compensation face à l’intensification du travail et à la dégradation des
services publics et des conditions de logement. La rotation accélérée des biens de consommation est un
facteur de rentabilité du capital sans correspondre à une véritable création de valeurs d’usage.
Il s’agit de rompre avec cette logique de maximisation du profit et de la remplacer par une logique de
maximisation du bien-être sous contrainte environnementale. Ce pourrait après tout être une définition
ramassée de l’écosocialisme et un résumé du livre de Daniel Tanuro dans sa recherche d’une nouvelle
synthèse entre mode de vie et respect de l’environnement. Puisse sa lecture convaincre les écologistes de
la nécessité d’être anticapitaliste. Et vice versa.