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Martin est il de gauche ?

Martin et les pauvres, sa vie, son œuvre : le RSA

 

Un article dans Médiapart du 4 février annonce le retour à gauche de Martin Hirsch : « Une figure socialiste raconte : « Il y a peu, je lui ai demandé : “Mais qu’est-ce que tu fais encore dans ce gouvernement ?” Il m’a répondu : “Je me prépare à m’en aller. J’ai fait ce que j’avais à faire”. A savoir le RSA (Revenu de solidarité active) et le service civique, que l’Assemblée nationale a examiné jeudi 4 février. ».

Certes, MH n’est pas Besson ce mercenaire politique sans idées, capable d’offrir une tribune à la xénophobie et au racisme dans le but d’alimenter la politique de la peur.

Ou Amara potiche décorative à l’usage des banlieues qui attendent toujours le plan Marshall réduit à rien ou presque.

Un homme de gauche, disent ’ils

A en croire ses toujours amis socialistes, Martin Hirsch est depuis le début mal à l’aise d’être au gouvernement.

Cet homme qui n’a ni une culture ni des valeurs de droite, comme le rappelle Jean-Marc Ayrault, député-maire de Nantes (PS), a marqué publiquement son désaccord avec certaines mesures gouvernementales. Jusqu’à présent il n’a pas mis sa démission dans la balance, aujourd’hui il serait prêt à le faire...

Mais Martin H. est-il pour autant un homme de gauche attaché à défendre les pauvres dans une majorité qui les méprise ? A t-il obligé ce gouvernement de droite de droite à faire une réforme de gauche ?

Une partie de la gauche officielle a l’air de le penser. Il n’est que de se rappeler que le PS n’a pas mené une bataille contre le RSA mais surtout sur son financement . Un « technicien socialiste  » le voit comme un technicien de gauche qui l’est resté même au service de Sarko : «  C’est difficile de lui reprocher d’avoir socialisé une politique de droite  ».Jean-Louis Destan, président (PS) du Conseil général de l’Eure, dont le département a été le premier à expérimenter le Revenu de solidarité active, en juin 2007 va même plus loin ; c’est parce qu’il s’est senti trahi par la gauche, et Ségolène Royal qu’il soutenait qui n’a rien compris au RSA,que Martin Hirsch a sauté le pas.

Daniel Cohn- Bendit, le leader des écolo-centristes, a essayer de la rallier à Europe écologie et souhaite toujours faire avec lui une fondation de réflexion sur le social.

Nous proposons donc d’analyser la logique politique qui sous tend le RSA pour savoir si ce dernier est bien une politique de gauche .

Le grand œuvre, le RSA :

Pour résumer rapidement e RSA c’est : le RSA socle pour celles et ceux qui n’ont rien et de plus en plus des chômeurs exclus de l’assurance chômage. C’est la même chose que le RMI ou l’API mais avec des obligations, et des contraintes en plus.

le RSA d’activité ou « chapeau » versé à celles et ceux qui ont des revenus (salaires) en dessous du seuil de pauvreté. C’est la grande « avancée sociale  » du RSA aider les RSA activité travailleuses ou travailleurs pauvres, leur apporte un petit plus Pour tous c’est la fin de l’exonération automatique des impôts locaux et d’autres droits.

Cet aspect « social » du RSA qui permet aux salariés pauvres d’arriver avec le RSA au seuil de pauvreté est-il suffisant pour caractériser une politique de gauche, ou est ce une nouvelle forme de « charité publique » qui redistribue un petit quelque chose à celles et ceux dont la pauvreté est trop visible ?

Dans ce cas le RSA serait l’expression d’une sorte de « libéralisme compassionnel public  » qui vise à limiter les effets trop visiblement destructeurs du néolibéralisme, une politique de droite intelligente qui gére l’exclusion la « désaffiliation  » des pauvres du système classique de protection sociale, et contrôle les perdants exclus du monde libéral des gagnants.

Depuis 6 mois le RSA se met en place et l’analyse de son fonctionnement commence à apporter des réponses.

Le rapport intermédiaire sur la mise en place du RSA

C’est un comité d’évaluation du RSA, formé de représentants de l’Etat, des conseils généraux et autres, qui est chargé par l’article 32 de la loi, de mener l’évaluation des politiques publiques dans ce domaine. Il vient de rendre un rapport qui fait un premier bilan de l’état du RSA après quelques mois d’application effective et généralisée.

Le rapport note une très forte progression des admissions au RSA socle : c’est pour lui une conséquence de la crise et de la dégradation du marché du travail. La progression du RSA Socle est de 4.6 % sur un trimestre, qui rappelle les précédents historiques du RMI dans les années de crise de l’emploi ou de réduction de la durée d’indemnisation par l’ASSEDIC.

Une étude de Pôle Emploi prévoit d’ailleurs que sur le million de chômeurs privés de droits en 2010 environ 220000 accéderaient au RSA socle. Ceci vient confirmer que le RSA socle sert de substitut à une indemnisation déficiente des chômeurs.

Le RSA activité, qui s’adresse aux travailleurs pauvres, lui connait une progression beaucoup plus modeste : sur les 1.49 million prévus, ils ne sont au bout de 5 mois que 366000 soit moins d’ ¼ .

Le décalage des demandes et des prévisions est particulièrement marqué chez les personnes qui perçoivent le moins : celles et ceux qui ont moins de 50€ ne sont que 13% au lieu des 17% : il y là manifestement un effet de découragement » -« toutes ces démarches pour moins de 50, 100€...et quelles démarches...ça n’en vaut pas la peine »- Ceci est renforcé par le pourcentage important de refus de RSA ( 34% de l’ensemble des demandes).

L’instabilité des droits au RSA et des ressources - seuls 67% des bénéficiaires du RSA activité en Juin le sont encore en septembre (87% des RSA socle)- crée une rotation non négligeable des salariés pauvres dans le RSA. L’obligation de répondre à un questionnaire trimestriel sur les ressources est une source de découragement et fait comprendre aux intéressés qu’il ne sont plus dans un système de protection sociale comme l’assurance chômage, mais qu’ils sont plongés dans un système d’aide sociale.

A l’occasion des demandes ou de l’actualisation , les personnes prennent la mesure de la modification de leur statut social.

Ce n’est pas une querelle de mots : en 1945 à la naissance de la sécurité sociale ses promoteurs pensaient que l’aide sociale allait disparaître, que les droits à la sécu allaient progressivement couvrir tous le monde : le RSA, avec l’augmentation considérable de celles et ceux qui y sont condamnés, met à mal le système de garanties salariales que nous connaissons. Il crée - ou plus exactement il institutionnalise- des sous salariés qui deviennent des sous-citoyens

@rsa et désaffiliation

« Ils me demandent une lettre de mes parents par laquelle ils s’engagent à ne rien me verser, je n’ai pas envie de la demander. Mes parents n’ont pas à savoir que je demande le RSA parce les petits boulots ne suffisent pas »

« J’ai une qualification, Pôle emploi me propose de travailler pour un salaire de misère. Ils me proposent un complément de salaire RSA..je ne veux pas être une assistée, rendre des comptes aux travailleurs sociaux.. » « Ils te posent des tas de questions sur des choses personnelles qui n’intéressent que moi...alors j’ai tout envoyé chier.. »

« Les dossiers ne sont jamais complets, il faut leur amener des documents pour prouver ce qu’on dit...tout ça pour des clopinettes ...je laisse tomber »

« Eh c’est vrai ce que vous dites sur la vie privée, faites quelque chose là dessus, une pétition par exemple on est prêtes à signer... »

Voilà quelques réactions entendus devant la CAF, elles visent le questionnaire auquel sont soumis les demandeurs en vertu d’un décret de juin 2009 qui crée un nouveau grand fichier nominatif : le « @RSA », entrant des données personnelles « inédites » sur les bénéficiaires du RSA, « pour leur insertion » et leur contrôle.

Si tu veux le RSA il faut que tu répondes à un questionnaire sur ta vie privée "as-tu des dettes, payes tu ton loyer régulièrement, quelqu’un s’occupe-t-il de toi, as tu des problèmes de santé ? Autres types de difficultés..." Toutes choses qui ne sont pas nécessaires au calcul du droit, mais qui contribuent à un flicage des pauvres.

Toutes les réponses sont stockées dans un fichier de la CAF : ces informations sont gardées pendant 3 ans par la CAF et plus par le conseil général.

C’est une violation du droit élémentaire au respect de la vie privée dont sont victimes les demandeurs du RSA.

Quelle mouche a piqué Hirsch pour mettre en place un tel fichage ?

Il faut y voir l’effet de la nouvelle gestion néolibérale du social, de la prétention des technocrates et « managers » de définir, codifier le travail auprès des personnes, de mettre en place une division des tâches dignes d’un organisation scientifique du Travail taylorienne.

Des dispositifs dits de transparence , de secret « partagé » avec les pouvoirs, réduisent l’usager, sujet de sa vie et citoyen, à un objet de prestations prédéfinies que l’on « découper » en actes techniques.

La rationalisation « technique et budgétaire » de l’intervention conduit à la négation des demandeurs comme citoyens à part entière jouissant de tous ses droits.

C’est d’abord la négation au nom de « l’efficacité » du droit à la vie privée, droit constitutionnel fondamental dont l’exercice permet de séparer l’Etat de Droit de l’Etat totalitaire .

Le questionnaire, le fichier @rsa présentent toutes ces caractéristiques et exigent des demandeurs de renoncer à leur droit au respect de leur vie privée, au respect de leur droit de ne pas être fiché.

Ce contrôle de la vie sous couvert de «  chasse aux fraudeurs » est injustifiable. Que diraient les néolibéraux si on imposait les mêmes dispositions à tout le monde pour lutter contre la fraude fiscale qui coute des centaines de fois plus cher à la collectivité que celle au RSA ?

Se met en place ainsi, contre les pauvres, une citoyenneté, une humanité à deux vitesses où seuls ceux qui perdent doivent rendre compte de leur vie.

Ils sont coupables de leur chômage, de leur pauvreté et ils doivent sans arrêt se justifier, se trouver des excuses, faire la démonstration qu’ils méritent une aide.

C’est pour cela que les demandeurs de RSA, à l’inverse des RMIstes, sont soumis au exigences de Pôle Emploi ( PPAE, ORE et tout autre machine à radier et à priver des droits et des maigres ressources)

Du mépris, de l’oubli, de la soumission à la dignité

Ces questionnaire inquisitoriaux, ces moyens inquisitoriaux de contrôle ( utilisation du NIR (N° de sécu) qui permet l’interconnexion des fichiers, l’accès aux données des impôts...) contre les personnes au RSA devraient faire violemment réagir la gauche bien pensante qui se pose en défenseur des droits de l’homme.

Mais ils ne disent rien.

Mieux le PS en place dans trop de ses conseils généraux un RSA.

Les chômeurs ont déjà été un angle mort pour une très grande partie de la gauche politique et syndicale : cette dernière -brossant dans le sens du poil les salariés qui condamnaient les « chômeurs fainéants  »- a même inventé des dispositifs « d’activation », s’est autorisée à donner aux patrons ou à divers « marchands de soupe » qui s’engraissent sur la misère du monde, l’argent des droits des chômeurs.

Aujourd’hui, les personnes au RSA subissent le même sort : oubliés de l’indemnisation ou travailleurs pauvres, ils ne sont représentés aidés, organisés, défendus que par quelques associations aux trop faibles moyens.

Il ne leur reste plus qu’à accepter leur destin individuel et, seuls face à la machine, à maltraiter à se soumettre aux questionnaires qui les privent de leurs droits.

Le fatalisme existe et nous avons entendu devant la CAF « pourquoi pas répondre à un questionnaire de plus...on est déjà fichés, à la banque ...  »

Pourtant ces informations de plus « librement données » peuvent conduire à une contrainte accrue sur les personnes

« vous vous rendez compte, dans votre situation avec vos dettes de loyer, vos enfants suivis par l’assistante sociale, vous auriez intérêt à vous assoir sur votre qualification, sur vos exigences de salaire et accepter cet emploi...oui c’est vrai vous y perdrez votre savoir faire professionnel, vos acquis, vos droits ..mais c’est tout de même mieux que d’être à la rue et de voir vos enfants placés ! »

Avec @rsa il est facile d’obtenir la soumission des demandeurs, leur renonciation à leurs droits comme contrepartie à l’entrée dans le système.

Nos néolibéraux pensent que le calcul économique et l’intérêt financier guident les choix des femmes et des hommes, que les rapports humains se réduisent à chercher comment « maximiser » le profit.

C’est pourquoi ils ne comprennent pas que certains et certaines refusent ce chantage.

Ils, et elles, sont déjà beaucoup à ne pas accepter leur transformation en « cas social » objet des décisions des institutions, n’acceptent pas ce retour à une « minorité citoyenne » infantilisante.

Trop de nos concitoyens, de la droite dure à la gauche molle, acceptent, à la place des intéressé(e)s, cette disqualification pour un plat de lentille. Eux sont enfermés dans le calcul économique rationel qui doit guider le monde néolibéral.

Et pourtant il y a un grain de sable dans cette belle mécanique à créer du « plein emploi  » à coup de sous salariat et d’activité dégradées.

Malgré la pression d’un quotidien de survie, malgré les difficultés du quotidien, malgré les pressions sociales, il en est qui résistent au nom de leur dignité.

Ce refus de se soumettre au nom de l’idée qu’on se fait de soi, et de ce qu’est l’humain, est éminemment politique. Ils construisent sur leur refus un autre monde.

Il devrait entrainer le soutien actif de celles et ceux qui luttent pour une autre société, de liberté, d’égalité et de fraternité.

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Martin, sa vie, son oeuvre le RSA

9 février 2010


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