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Lettre d’un vieux militant ouvrier aixois sur les élections européennes

 

Le 21 février 2009

Mesdames Sandra Demarq et Christine Mendelshon,

Messieurs Eric Coquerel et Georges Sarre

En main l’exemplaire du journal l’Humanité de ce jour et le débat auquel vous avez participé, y représentant le MRC, le NPA, le PCF et le PG, sur le thème « Un front de gauche pour quoi faire »

Il apparaît qu’il est à craindre qu’aux élections européennes nous dussions faire notre deuil d’une liste regroupant toute la gauche altermondialiste, la vraie gauche de gauche, dans chacune des 7 circonscriptions métropolitaines.

Je suis un militant de base, tout à fait de base. Je crois devoir vous faire part de la façon dont je perçois cette éventualité en la regardant de mon point de vue, d’en bas, tout à fait d’en bas, je dirais même d’en dessous  :

Sans liste commune, nous irons à l’échec pour deux raisons :

La première est que deux listes qui se partagent un électorat obtiennent à la proportionnelle moins de sièges qu’une liste unique qui aurait l’électorat en entier.

La seconde est que l’électorat à se partager sera gravement rabougri.

Pourquoi rabougri ? Je prétends que le total des voix liste 1 plus liste 2 sera forcément plus petit que le total qu’aurait obtenu une liste regroupant 1 et 2.

Suivez mon raisonnement :

Sans revenir sur le Traité Constitutionnel Européen, comment cette bataille a-t-elle été gagnée ?

Ce n’est pas ATTAC ou Copernic par leurs études qui l’ont gagnée, bien qu’ils y aient contribué. Ce n’est pas Mélanchon, ou Raoul Marc Jennar par leurs discours, bien qu’ils y aient contribué. Ce n’est pas le PCF ou la LCR par leurs actions, bien qu’ils y aient contribué. Ce n’est pas vous et moi qui nous sommes démenés, bien que nous y ayons contribué...

Ceux qui ont gagné le NON au référendum, ce sont une masse de citoyens de base, (que j’estime à deux, trois, quatre millions, je ne sais, sur 45 millions d’électeurs), qui n’ont pas d’attaches politiques, qui ne s’intéressent que de temps en temps à la politique, bien qu’ils se tiennent au courant des affaires publiques, et qui à l’occasion du référendum, se sont interrogés, ont lu les tracts et écoutés les émissions, qui ont vérifié dans le texte de la Constitution l’exactitude des arguments, qui quelquefois sont venu aux réunions publiques, qui ont compris et mesuré la gravité du TCE et ont formé leur opinion, et qui en ont parlé autour d’eux, à la pause au bureau ou à l’atelier, autour de la machine à café ou au restaurant d’entreprise, qui en ont parlé à la réunion de famille, qui en ont parlé en regardant jouer aux boules et en allant à la pêche. Amplifiant ainsi nos explications dans une résonance puissante qui a couvert et surclassé la propagande des média.

Nous, la gauche de gauche, ne pourrons gagner des élections, et même plus simplement, gagner en influence dans les combats quotidiens, que si nos idées sont relayées par ces citoyens en générant une prise de conscience massive.

Vous me direz que j’enfonce une porte ouverte ? Que tout militant sait qu’il faut que les idées s’emparent des masses pour qu’elles deviennent une force. Certes ! Mais cette prise de conscience d’une masse d’électeurs ne s’est pas produite à l’occasion de l’élection présidentielle. La gauche de gauche n’a pas satisfait à cette condition évidente, et un boulevard s’est ouvert pour Sarkozy. Nous le payons tous fort cher.

Les citoyens de base sont rentrés dans le débat sur le TCE parce que l’éventail des partisans du NON était suffisamment large pour qu’ils puissent prendre position sans être confondu avec les propagandistes de tel ou tel Parti. La nature humaine de ces citoyens est ainsi faite. Ils veulent paraître neutres. Ils sont la masse.

A L’élection présidentielle ils sont restés silencieux.

Plus que silencieux. Ils hésitaient entre les divers candidats de la gauche de gauche, et étaient tiraillés aussi par le vote utile. Ils ne pouvaient pas exprimer leur opinion, ils n’en avaient pas. Ils la cherchaient. Plus que silencieux, ils étaient paralysés.

L’état des lieux est identique pour les Européennes.

S’il y a dans la gauche de gauche une liste 1 et une liste 2, ces électeurs ne sauront pas pour qui voter, ne dirons pas pour qui ils votent. Même s’ils ont une préférence, ils ne l’afficheront pas. Ils seront accablés de voir cette division, ils ne se mobiliseront pas pour convaincre les 45 millions d’électeurs qui les entourent qu’il y a mieux à faire que de gober les racontars des télés et média.

Les opinions, les positions politiques des listes 1 comme 2 ne seront pas relayées.

Concrètement, pour moi, militant de base, voyant les choses d’en bas, tout à fait d’en bas, je dirais même d’en dessous :

S’il y a une liste d’union, je distribuerai des tracts sur le marché et ailleurs. J’y rencontrerai des camarades d’un autre parti soutenant la même liste. Nous aurons un salut fraternel. S’ils sont ici j’irai à un autre point pour toucher d’autres passants. Si l’un manque de papier il puisera dans le stock de l’autre, c’est le même.

Un électeur s’arrêtera pour me dire qu’il est d’accord, qu’il nous soutient. Un autre qu’il sera au meeting demain soir, et qu’il y mènera son voisin, ou son frère et sa belle sœur. Un troisième encore viendra, qui aura l’air inquiet et hésitant, je l’amorcerai, et il me dira « Moi je comprends pas trop, mais je connais quelqu’un de très bien, qui m’a dit qu’il fallait voter pour vous ». Je le conforterai. C’est celui qui nous fera gagner.

S’il y a deux listes, je distribuerais sur le marché des tracts pour ma liste. J’y rencontrerai des militants de l’autre liste. Nous aurons un bonjour crispé. Je resterai à proximité pour occuper le terrain. Un électeur lambda viendra demander pourquoi il n’y a pas unité ? Je lui en expliquerai le pourquoi, et que s’est de la faute de l’autre. Alors il ira trouver l’autre qui lui expliquera un autre pourquoi et que c’est de la faute du premier. L’électeur triste et lassé, rentrera chez lui, il réfléchira à ce que l’un et l’autre lui ont expliqué : Ce que vous expliquez dans le débat de ce jour dans l’Humanité.

En substance le désaccord porte sur la vision de l’avenir. Vouloir le contrôler est légitime, mais l’avenir est par nature inconnu. Il peut changer de façon imprévisible.

S’y imaginer revient à vendre la peau de l’ours avant de l’avoir posé par terre...

Alors l’électeur triste et lassé trouvera, comme moi, ces raisons certes réelles, mais un peu secondaires en regard des urgences du présent.

Alors il sentira que tout cela le dépasse, il renoncera à en discuter au bureau ou à la réunion de famille, il n’ira pas convaincre mon troisième interlocuteur. Il s’occupera de ses problèmes à lui, de sa famille de ses enfants. Il deviendra un individualiste.

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S’il y a une seule liste, les militants se défonceront. Ils seront présents le samedi sur les marchés et aussi dans la semaine. Ils seront encouragés en recevant en retour de ces électeurs de base une chaude approbation. Ils auront, comme nous l’avons eu au référendum, la sensation « que la mayonnaise est en train de prendre ».

S’il y a deux listes, les militants devront ramer dur, à contre courant, en se heurtant au scepticisme au pessimisme des électeurs, ils se décourageront, ils s’épuiseront.

Ce ne sont pas les 9 000, adhérents du NPA ni les XX 000 adhérents du PCF du PG ou du MRC qui peuvent interpeller, dialoguer, expliquer à 45 millions d’électeurs...

Les diverses composantes de la gauche de gauche ont le choix entre deux éventualités :

* Ensemble, s’entendre et gagner un terrain formidable. * Ensemble, se diviser, perdre toute crédibilité et aller au trou.

Ils ne parviennent pas à s’entendre ?

Les uns et les autres nous expliquent qu’en Palestine, le Hamas et le Fatah devraient se réconcilier, et qu’une négociation pourrait alors aboutir entre palestiniens et israéliens. Serait ce plus compliqué entre MRC, NPA, PCF et PG devant les urgences du présent ?

Vu d’en bas, vu d’en dessous, j’entends une phrase qui remonte au Front Populaire en 1936 : « ...Nous serons unitaires pour deux ».

Bien fraternellement à tous ceux qui m’ont lu.

Recevez mesdames messieurs mes meilleures salutations.

Giovannetti Germain

22 février 2009


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