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La dernière de Sarko

Agitation médiatique et remises en cause du droit

 

La diffusion, en différé par une télé aux ordres (le dimanche quand tout le monde était au courant de l’affaire et que ce n’était plus une information immédiate), du « casse toi , pauvre con » présidentiel relève me semble t-il plus d’une stratégie ( ou de stratégies) de communication que d’une erreur d’un « président poussé à bout » comme nous le répètent sur tous les tons les sarkozystes.

Comme Le Pen en son temps avec ses dérapages calculés, Sarkozy n’a pas pété les plombs.

De quoi s’agit-il alors ?

Une présidence mal maîtrisée ?

De dissocier le jugement porté sur « le mode de présidence » de la politique menée. Depuis la chute dans les sondages, nous avons vu de nombreux « politologues » (libéraux) nous expliquer ce que pensaient les français en analysant les résultats.

Que nous disent-ils ? Que ce que les français condamnent ce n’est pas la politiques gouvernementale, ce ne sont pas les réformes (puisque c’est le nom donné aujourd’hui aux régressions sociales) mais la manière dont Sarkozy rempli son mandat, l’image qu’il donne de la présidence.

Voyez, assènent-ils avec tout le poids de leur science, ce ne sont pas les mesures prises qui sont condamnées puisque le premier ministre monte dans les sondages alors que c’est lui qui dirige la politique du gouvernement.

Ce sont souvent les mêmes qui, quelque temps auparavant, nous disaient que Sarkozy avait pratiquement supprimé la fonction de premier ministre en dirigeant lui-même. Les mêmes milieux bien informés prêtaient à Sarkozy une intervention directe par dessus Fillon et les ministres sur certains projets de loi en particulier dans le domaine du sécuritaire où il continue à être ministre de l’intérieur-justice-immigration mais nous y reviendrons en détail plus loin.

ET Fillon l’inutile ?

Dans ces conditions, que signifie le bon score de Fillon l’inutile ?

D’abord puisqu’il n’est responsable de rien, qu’il ne fait rien, il n’y a aucune raison que Fillon soit sanctionné.

Même quand il est à l’origine des interventions les plus réactionnaires comme sur les retraites où il est le pousse au crime aux ordres du MEDEF, ça ne se voit pas.

Dans le champ politico-médiatique, cette invisibilité rempli une fonction de rééquilibrage de l’image de l’exécutif : Fillon, ce serait du sérieux, l’homme qui dans l’ombre lui travaille pour faire avancer la contre-révolution libérale- autoritaire. En particulier il est sans arrêt à l’offensive sur la destruction du social auréolé qu’il est par les médias d’une capacité de discussion avec les syndicats.

Réputation largement usurpée puisque ses capacités se limitent à faire semblant de discuter avec un Chérèque prêt à toutes les compromissions pour sauver sa stratégie de négociation ; dans ce dialogue, Fillon a même trouvé le moyen de ne pas tenir les quelques promesses qui servaient à Chérèque pour crier victoire.

Mais ce que nos « politologues sérieux » oublient c’est la condamnation massive de la politique économique et sociale et le mécontentement sur le pouvoir d’achat élément central de la stratégie sarkozyste.

Plus fins analystes que les politologues les français se rendent compte que Sarkozy a fait des promesses qu’il est incapables de tenir, que son volontarisme politique sur le travail n’était que poudre aux yeux. Précisons que même une bonne partie des élus UMP, sauf les groupies comme Rama Yade ou Morano, préfèrent laisser de côté l’étiquette pour les municipales [1]

Et si la stratégie était de cacher ce bilan désastreux, mais aussi de cacher les remise en cause des libertés fondamentales sous le retour du sécuritaire.

(JPEG)
Grégoire Elodie Gamma
Quelle photo symbolique où l’on voit le vrai ministre de l’intérieur et de la sécurité, derrière l’exécutante admirative ! Quand la photographie est une analyse politique de la soumission de la justice à l’ordre sécuritaire.

Un Sarko peut en cacher un autre

Le « casse toi » a été aussi bien utile pour ne pas parler de trop de ce qui est en train de se passer sur la loi de rétention de sureté Non à la mort sociale, au mépris des droits humains.

Ne revenons que brièvement sur une loi qui ne règle rien et surtout pas la question de la récidive.

Dans sa décision rendu le 21 février 2008, le Conseil constitutionnel a validé la mesure de rétention de sûreté. Il estime que cette mesure « proportionnée et nécessaire » n’est « ni une peine ni une sanction ayant le caractère d’une punition ».

Le Conseil estime ainsi que la rétention de sûreté ne viole pas les principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, de légalité des peines et de la présomption d’innocence. [2]

Le Conseil constitutionnel censure cependant la rétroactivité de la rétention de sûreté, si chère au gouvernement, « eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite ». La rétention n’aura donc vocation à s’appliquer que pour des faits commis après l’entrée en vigueur de la loi.

S’en est trop pour Sarkozy qui demande au président de la cour de cassation les moyens pour tourner cette censure.

Un avocat nul en droit ?

Arguant des nécessités de la sécurité des français, jouant une fois de plus sur la peur, il tente de passer en force en décidant de saisir la cour de cassation, puis son président des moyens de mettre en oeuvre quand même la rétroactivité. [3]

Sans cette dernière c’est toute la crédibilité sécuritaire qui est mise à mal : comment expliquer que l’on répond aux drames d’aujourd’hui si la la loi n’est applicable que dans 15 ans et qu’un certains nombre de personnes (une trentaine d’après une liste noire du ministère) vont sortir au mépris de la sécurité ?

Car c’est bien aujourd’hui que l’on veut utiliser la peur, pour conforter le pouvoir libéral-sécuritaire, pour en faire à nouveau un enjeu électoral, comme le montre la déclaration imbécile de Nadine Morano [4] : « Poser la question de la rétroactivité de la loi pour les violeurs d’enfants et les assassins déjà condamnés, c’est d’abord vouloir assurer la sécurité des Français. » tout en accusant samedi les socialistes de « se ranger du côté des assassins ». [5]

Sarkozy est avocat , il ne peut ignorer que les décisions du conseil constitutionnel s’imposent aux pouvoirs publics que ce soit lui ou les magistrats.

Le premier président de la Cour de cassation, Vincent Lamanda, a fait savoir qu’il refuserait de remettre en cause la décision du Conseil constitutionnel concernant la "rétention de sûreté". "Il accepte le principe d’une mission sur la récidive mais il est hors de question de remettre en cause la décision du Conseil constitutionnel qui, comme le dit la Constitution, s’impose à toutes les juridictions, y compris la Cour de cassation".

C’est la seconde fois que le bonaparte de l’Elysée critique ouvertement une décision du conseil constitutionnel qui n’est pas un repaire de gauchiste et qui, au contraire, dans cette affaire a fait preuve d’une singulière bienveillance vis à vis de cette loi. [6]

Nous avons un président de la République qui continue à mépriser les règles de droit élémentaires qui garantissent les libertés publiques. Ce n’est pas nouveau, un projet de la loi prévention de la délinquance prévoyait de donner aux maires le droit de sanctionner des faits qui ne sont pas sanctionnables de par la loi.

Là encore, comme pour pour le « casse toi pauvre con », il ne s’agit pas de maladresses mais de ballons d’essai, pour populariser l’idée que le formalisme juridiques est nocif, que le pouvoir des juges (et ce n’est pas nouveau dans la pensée sarkozyste) nuit à l’efficacité de la sécurité.

Ce faisant, se construit petit à petit un nouveau type d’Etat, qui s’éloigne à chaque fois de l’Etat de droit au profit d’un renforcement considérable des pouvoirs de l’executif, lui même de plus en plus centralisé.

C’est cela qu’il s’agit de cacher par l’agitation médiatisée sur les questions de forme [7].

Sarko explose en vol ?

Il est trop tôt pour savoir quand Sarko va exploser en vol.

L’hégémonie sans précédent qu’il semblait avoir établi sur la droite (avec les centristes, et d’anciens PS accourus à la soupe comme dernier épisode) se fissure largement.

Mais la droite a déjà des portes de sortie toutes prêts pour continuer : soit Sarko « entendant le message des français » se calme et laisse de fait le devant de la scène à Fillon et ses amis pour garder un minimum, soit ces derniers le laisseront se déconsidérer pour le réduire à un rôle décoratif (tous les discours sur le bon score du premier ministre, mais aussi les crispations des sarkozystes pur sucre, sont le signe que l’épreuve de force est déjà prête).

Nous avons ici réuni, tous les ingrédients d’une crise politique sans équivalent sous la 5ème république.

Malgré la crise sociale à venir, et faute d’une alternative à gauche, la droite a tous les moyens de s’en tirer, y compris en dernier ressort avec une solution de type centriste renforcée par une bonne partie du PS, il n’est que de voir le « front républicain » qui se met en place.

Plus que jamais la question d’une alternative politique à gauche est posée , y compris pour faire reculer une droite qui continue , même avec un président affaibli, à démolir jour après jour ce qui faisait la démocratie, les droits , le social...

Chaque force de la gauche antilibérale est devant ses responsabilités : soit se contenter de faire de la figuration, y compris dans le rôle du contestataire de service, soit retrouver les chemins de l’unité pour agir, résister mais aussi construire dans le débat l’alternative dont l’absence fait la force du libéralisme y compris le plus déconsidéré.

25 février 2008

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Notes :

[1] le maire de Caen Brigtte le Brethon est devenue sans étiquette sur son dépliant électoral et il faut aller à la 6ème place pour trouver un UMP, un jeune populaire (sic) !

[2] avec une limitation de taille quand on connaît la situation de la psychiatrie en général et les moyens des services de psychiatrie dans les centres de détention. A moins que Sarkozy n’ai le projet de mettre tous les moyens de la psychiatrie sur ce secteur en prenant sur le reste : encore un mauvais coup pour la santé publique si les fonds du plan psychiatrie sont affectés ainsi,un mauvais coup pour les usagers qui vont voir une fois de plus leurs conditions de soins se dégrader !

[3] N’oublions pas que la déclaration des droits de l’homme interdit cette rétroactivité : la dernière fois que la retroactivité a été mise en oeuvre c’est par la création de la "section spéciale" sous Pétain qui condamna à mort des militants communistes pour crime de propagande communiste.

[4] désolé pour ce pléonasme une déclaration de Morano est toujours imbécile, c’est une spécialiste du genre

[5] dernière offensive en date des liberticides : le sondage IFOP dans la Pravda sarkozienne (le Figaro) : 80% des sondés seraient pour la loi, il n’y a plus comme le dit un internaute du Monde qu’à se plier à cette "consultation populaire". Voilà comment se dessine un nouveau mode de gouvernance !

[6] voir par exemple le lien suivant et les liens auxquels il se réfère http://lesmots.freelatitude.net/con...

[7] notons que les télés d’Etat, la 2 et la 3, se sont livré à une désinformation totale sur la censure de la loi en présentant la décision du Conseil comme une victoire du gouvernement. Ce n’est qu’en partie vrai, mais une telle présentation sans nuance,donne une crédibilité à Sarkozy et Dati


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