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Petit témoignage de la "prise de la Bastille"

 

Cette année, on a fêté dignement le 29 mai !

Ce sont 2000 personnes qui se sont réunies aujourd’hui place Bastille, répondant à l’appel du mouvement "démocratie réelle maintenant !", pour soutenir les espagnols et internationaliser la révolte née du monde arabe.

Des prises de paroles, groupes musicaux et débats ont rythmé l’après-midi. Il y avait trois thèmes de débats : "Crise économique et austérité", "Démocratie ?", "Printemps des révoltes : quelles perspectives ?"

Des tables étaient à disposition avec tracts, renseignements, cahiers de doléances et cahiers des commissions pour laisser idées et contacts. Le mouvement s’est en effet organisé avec plusieurs commissions : logistique, actions, médias, France, Espagne, International, démocratie interne du mouvement, etc. Pendant la semaine les réunions en AG et en commissions avaient alterné, afin de permettre la participation la plus grande de chacun selon les principes de l’autogestion.

L’AG a commencé à 18h. Le mouvement a été présenté, ainsi que l’appel à mobilisation, et la situation politique. Les organisateurs insistaient beaucoup sur le caractère apartidaire et pacifique du mouvement, avec des principes d’organisation éventuellement déroutant pour certains (pas d’alcool etc.). Puis il y a eu les présentations des commissions, ponctuées de témoignages d’indignés de Madrid, mais aussi de sans-papier Tunisiens de la porte de la Villette. Ils avaient été invité à l’AG et avaient eu le courage de venir. Il faut laisser les ventres vides crier, avait dit Faima ! Et les Tunisiens n’ont-ils pas offert au monde, et aux Européens en particulier, le printemps des révoltes ?

Je vous restitue le texte de l’intervention du jeune Tunisien sans papier (26 ans, bac+2 en chimie industrielle) :

"Nous nous sommes battus en Tunisie à cause de la misère, nous sommes arrivés en France, et nous nous sommes retrouvés dans la misère. Nous sommes prêts à faire une révolution internationale ENSEMBLE.

DROIT des sans papiers pour tous !

Droit à la LIBRE circulation entre les peuples !

Droit aux papiers !

STOP A LA VIOLENCE

Vous venez chez nous, en touristes ou pour affaires. Vous êtes alors considérés comme des pachas. Lorsqu’on arrive en France, on est humilié et bafoué."

Pour préciser le contexte, les Tunisiens de la porte de la Villette dorment dehors, la plupart n’ont pas de tentes, ils n’ont rien à manger, ils doivent fouiller les poubelles, se font tabasser par la police quand ils vont acheter un sandwich, et vivent dans la peur à chaque moment de l’expulsion.

Après l’intervention, il a fallu essayer de faire sortir discrètement les deux tunisiens parce que la police filtrait les sorties (et empêchait les entrées) et on avait peur d’une arrestation au faciès, mais ils ont pu sortir.

Quand on est revenus, l’AG s’était terminée, elle avait voté de rester camper sur la place, et de refaire une AG mardi. Des personnes étaient parties. Il en restait un certain nombre, mais un cordon policier isolait une bonne partie au milieu, et empêchait les autres de rentrer. Des filles se sont alors mises à chanter "Espagnols, Français même combat", tout le monde a repris le chant en claquant des mains, de plus en plus vite. Le cordon s’est alors ouvert à un endroit, ce qui nous a permis de rentrer à nouveau.

Puis le cordon policier s’est refermé, ils se sont équipés avec leurs masques (les manifestants les ont hués). Le cordon est devenu double, avec un cercle extérieur qui repoussait les gens autours, et un cercle intérieur qui se resserrait progressivement. Ils sont allés en haut des marches pour en faire descendre tout le monde, en poussant certains manifestants qui essayaient de résister pacifiquement. Les manifestants criaient "Paris réveille toi" "non à la violence policière" (reprenant la revendication du jeune tunisien sans papiers).

Le cordon se resserrait et ils nous reprochaient de ne pas avancer, mais ce n’était plus possible puisque on était les uns sur les autres tellement le cordon s’était resserré. Il nous ont laissés sortir un certain nombre, puis c’est passé à la baston. Ils ont sorti les gens en les traînant par les pieds, en les plaquant par terre, des jeunes mais aussi des vieux, et il y a eu des gaz lacrymos. Ensuite ils se sont redéployés pour repousser les manifestants dans le boulevard et vers les stations de métro, où ils poussaient certains en ne les laissant pas ressortir.

Vers 22h la place était vide et bien gardée.

Je n’ai pas vu de personnes embarquées, mais ce n’est pas impossible. Le 26 mars, ils n’avaient pas hésité à embarquer la trentaine d’italiens du KLF (knowledge liberation front - mouvement issu de la rencontre européenne à paris des 11-13 février) qui avaient juste eu le temps de déployer leurs banderoles dans le cadre de la journée européenne d’action des universités en lutte. Mais là on était plus nombreux, donc ils craignaient peut-être qu’on soit incontrôlables s’ils faisaient des arrestations.

D’après une camarade de la céget chômeurs, on n’était pas assez nombreux pour "prendre la place", il aurait fallu être deux fois plus. Il aurait mieux valu faire voter l’AG sur des revendications pour que les gens repartent en ayant construit quelque chose.

Après renseignements pris cet après-midi, il y a des choses qui s’organisent notamment à Toulouse (campement permanent depuis trois jours 200-300 personnes), à Bordeaux (manif mardi), Grenoble (zone de gratuité, jardin potager), Lyon (rassemblement Bellecour, campement permanent depuis un mois mais qui si j’ai bien compris a été un peu entrecoupé, pour cause d’expulsion, déménagement à la Croix Rousse etc). D’après les infos remontées au site reelledemocratie.com, 32 villes (et villages) étaient mobilisés aujourd’hui. Et sans compter les autres pays. En Grèce, 20 000 personnes ont manifesté au centre de la capitale !

On verra donc ce que va devenir ce mouvement. Je crois que le nombre de participants a surpris les organisateurs... ("on improvise", tentatives parfois maladroites pour ramener le calme...). J’ai l’impression qu’ils s’attendaient à moins, alors qu’on aurait du espérer beaucoup plus de participant.e.s.

Il y a sans doute maintenant plusieurs pistes, concernant le projet de campement, le lieu pour cela, les suites de la mobilisation (possible amplification ?), le degré de confrontation politique... Par ailleurs, il reste toujours à construire une plateforme de revendications.

Quelle est la feuille de route ? Quel est l’objectif ? La question était posée de façon récurrente par les participants au rassemblement et par les journalistes. Je ne sais pas si quelqu’un a vraiment une idée précise. On verra...

A+ Sophie

31 mai 2011


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