Accueil > Penser Global

Guerre préventive contre les potentiels délinquants ou faillite du (travail) social

Lettre ouverte à Monsieur Vengeons, directeur du service d’action préventive

J’ai ouvert mon journal et j’ai vu un compte rendu de la journée d’étude sur "police et travail social". Des propos prétés au directeur de la prévention m’ont fait bondir.

Surtout que dans le même temps la police sarkosyste donne dans les rues de notre ville la mesure de son talent à faire régner un ordre qui n’a rien de républicain , mais surement ségrégatif vis à vis des jeunes (qui comme chacun sait sont des dangers sociaux en puissance surtout en ce moment !)

Alors je pense qu’en tant que travailleur social mais aussi en tant qu’élu des tels propos ne pouvaient rester sans réponse.

 

Monsieur,

Si j’en crois Ouest-France de ce jour, à propos des projets de Sarkosy sur la soit-disant prévention de la délinquance vous auriez répondu «  si ces lois sont en train de prendre forme, c’est qu’on a pas été capable à un certain moment d’agir et de s’interroger  ».

Je suis stupéfait d’une telle réponse, par la prise de position professionnelle et aussi par une prise de position politique qui me semblent toutes deux en contradiction avec ce que pensent une majorité de travailleurs sociaux mais aussi avec ce qu’affirment officiellement les associations gestionnaires.

A quel moment les travailleurs sociaux, les services, les associations n’ont ils pas été capables de s’interroger ?

Ca fait quand même un moment que des organisations professionnelles, diverses, dénoncent la dégradation du travail social, l’impuissance à laquelle nous sommes condamnés faute de moyens, faute de réponses.

Mais surtout, que pouvons nous faire face à la lente et forte dégradation de l’Etat social qui garantissait le fonctionnement de nos métiers ?

La montée du chômage, de la précarité crée une nouvelle pauvreté de masse à laquelle nous ne pouvons pas répondre : non pas parce que nous sommes stupides, ringards (n’en déplaise aux chantres de la modernité libérale dans le travail social et ailleurs) mais parce que nous ne sommes pas équipés, nous ne sommes pas faits pour gérer la normalisation de tous les « inutiles au monde » que produit, sans arrêt, la société libérale.

Nous savions faire dans une société qui affichait sa volonté d’intégrer, nous sommes démunis dans une société qui assume l’exclusion.

Avons nous tort aujourd’hui de refuser de nous soumettre aux diktats d’une médicalisation des problèmes sociaux prônée par des gens qui s’habillent du scientisme comportementaliste ?

Le récent rapport de l’INSERM, outre le fait qu’il tombe à point pour justifier les menées liberticides de Sarkosy, est la négation d’une tradition humaniste issue de la résistance (et de l’expérience du fascisme et la déportation) qui nous a fait travailleurs sociaux.

Cette tradition est elle dépassée comme le dit le MEDEF à propos du compromis social et démocratique de la libération ? Je ne le pense pas et je ne pense pas qu’il soit possible de discuter avec des gens qui ont sorti l’homme de leur vision du monde au profit des seuls individus qui méritent au détriment de ceux qui se « contentent de l’assistance ».

Alors le discours pleurnichard et culpabilisant que vous tenez , Monsieur le directeur, n’est il pas destiné à refuser ce débat central sur les principes de base du travail social, de l’Etat social et la république démocratique et sociale qui est affirmée dans nos textes depuis la libération au profit d’une adaptation gestionnaire au marché du social que nous propose la droite d’aujourd’hui ?

Car il y a bien dans votre intervention un prise de position politique qui occulte la dimension des choix politiques de Sarkosy.

Ce n’est pas un malheureux ministre qui fait ce qui peut pour répondre à une situation qui le dépasse, ce n’est pas qu’un simple opportuniste qui n’a en vu que sa popularité.

Ce que propose Sarkosy, dans son projet de loi sur ce qu’il appelle la prévention de la délinquance, c’est la réponse dont à besoin le libéralisme pour gérer les conséquences de la mise au rebut de millions de personnes et de l’utilisation à volonté des précaires.

Avec une politique économique et « sociale »qui produit massivement des pauvres sans leur donner les moyens de s’en sortir, il faut s’attendre à des réactions des victimes.

Il faut donc prendre des mesures préventives, non pour traiter la pauvreté, mais pour (mal)traiter les pauvres eux mêmes : la prévention devient alors suspicion, réponse à priori à danger potentiel. Peu importe que les pauvres n’aient pas d’armes de destruction massive, il vaut mieux leur faire la guerre avant... mais cette guerre, il faut la justifier auprès de ceux qui ne sont pas visés.

Alors on habille la pauvreté d’autres attributs, la dangerosité, l’hérédité ou la couleur de la peau déguisée en religion intégriste.

Bons pour la com. à la la telé, où l’on donne volontiers dan le one-man-show républicain, les principes de Liberté, Egalité et Fraternité sont vidés de leurs sens dans les lois et politiques menées au nom de la philosophie libérale-autoritaire.

C’est une vision du monde dans laquelle le travail social n’a plus sa place sinon comme indicateur de la police, comme service de renseignement pour garantir comme nouveaux « gardiens de la paix » une certaine « stabilité » pour reprendre les mots du chef d’état major de la sécurité publique.

Eux, les flics, vainqueurs de la loi et du social, nous ont déjà annexé.

Cette vison du monde fait que certains n’auront plus le droit à la vie privée théoriquement garanti par la loi, parce qu’ils ne méritent pas « d’avoir les mêmes droits que nous » comme l’a dit un député UMP dans le débat sur l’Etat d’urgence.

C’est tout cet aspect des choix politiques qu’escamote votre déclaration et en soi c’est une prise de position politique.

Je sais que l’on peut voir les choses un peu différemment dans des fonctions de gestionnaire, je suis quand même surpris de vous retrouver Sarkosyste !

J’espère que vos propos a été mal rapportés, et que votre soutien aux actions contre la loi sur la « guerre préventive aux délinquants en devenir dès la petite enfance » viendra apporter un démenti très net.

Etienne Adam travailleur social et élu.

voir aussi la petition 0 de conduite l’article

et le rapport Bénisti l’article

12 mars 2006


Format imprimable

Format imprimable