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Le rapport Benisti n’est pas un acte isolé

Intervention à l’AG des salariés des secteurs éducatif, de la santé et du social le 3 février 2005

 

Il y a un coté comique, ridicule dans les formulations de ce rapport et dans sa prétention scientifique ( le schéma de l’écart par rapport au « bon chemin » est un modèle de bêtise de droite satisfaite d’elle même).

Mais ce n’est pas pour autant qu’il doit prêter à rire, il dessine une perspective qui est loin d’être drôle, en tout cas pour les gens qui en subiront les effets. Ce rapport se situe dans un mouvement plus large et nous avons tous en tête le projet de loi Sarkosy qui prévoyait les mêmes dispositions.

Il ne faut pas non plus sous-estimer son effet parce que ce n’est qu’un rapport parlementaire. Ces jours, va être votée à l’Assemblée Nationale une loi sur les 35h dont l’initiative revient à des parlementaires : ce gouvernement discrédité peut avoir recours à la « pression » de sa base pour lui permettre de faire les sales besognes.

Ce que contient ce rapport est depuis trop longtemps dans l’air du temps pour minimiser la portée de ce qu’il avance.

Dans ce texte, comme dans d’autres,nous assistons à un double glissement.

Du social au pénal

Glissement de la notion de prévention à celle de prévention de la délinquance. Pendant des années, et pour nous en particulier dans notre culture professionnelle de salariés du social, la prévention s’opposait à la répression.

Elle visait même à prévenir la répression et à lui substituer des mesures d’assistance éducative : c’est l’esprit des ordonnances de 1945 sur la protection de l’enfance. La prévention c’était s’attaquer aux causes sociales de la délinquance, même si cela supposait des interventions de type individuel, c’est à dire destinées à des individus précis.

Ici ce n’est plus du tout de cela qu’il s’agit : pour vous en convaincre allez voir le compte rendu de la réunion de la commission Benisti du 7 juillet 2004.

Y intervient un des rares experts entendus par la commission et le profil de cet expert cadre bien avec le travail général de cette commission. Il s’agit du dénommé Jean-Michel Durand, ci-devant procureur au TGI de Créteil dont on nous dit qu’il a effectué l’essentiel de sa vingtaine d’années de carrière dans le midi de la France avant de choisir depuis 2 ans la jungle des villes de l’Ile de France .

Que nous dit ce véritable missionnaire de la prévention de la délinquance qui a abandonné - par sens du devoir ou pour des besoins de carrière ? - le soleil méridional pour venir traquer la délinquance dans ses bastions : « pour combattre ce problème de criminalité organisée, il faut commencer par la répression avant de mettre en oeuvre une politique de prévention. ».

Et quelle est cette criminalité organisée qu’il faut combattre ? Réponse d’un Durand que son court séjour francilien a ramené au sens des réalités « la criminalité organisée n’est pas seulement la criminalité internationale ou le grand banditisme, c’est également la délinquance qui existe au pied des immeubles » Et de parler des organisations mafieuses dans les cités dont il souligne avec une objectivité qui montre qu’il n’est pas aussi partial qu’on pourrait le croire : « ce phénomène n’est d’ailleurs pas toujours lié aux organisations islamistes ».

Voilà donc une délinquance choisie comme cible c’est celle des populations dangereuses.- notons au passage que la délinquance en col blanc qui pourtant a sévi dans le midi aussi n’est même pas évoquée- Et la prévention doit défendre les gens face à cette délinquance là.

C’est le créneau porteur des boites de sécurité, des marchands de soupe sécuritaire comme la filiale d’AREVA qui occupe près d’un tiers du rapport Benisti, ou comme Bauer qui s’auto-intitule expert et qui a été à l’origine du virage de la gauche en matière de sécurité. Ces gens là, qui vendent de la sécurité comme on vend n’importe quoi, se disent experts et se donnent l’avantage de définir les besoins. Il est normal que ceux là insistent sur la délinquance de pied d’immeuble parce qu’elle est le plus rentable, elle concerne plus de monde et permet de vendre de la sécurisation de quartier « clefs en main ».

On aurait pourtant tort de ne voir que cette poursuite d’intérêts lucratifs. C’est aussi une conception de la lutte contre les pauvres et la substitution d’un Etat sécuritaire à l’Etat social dans la suite de ce qui s’est fait aux USA, lisez « Punir les pauvres » de Loic Wacquant c’est clair.

Faute de pouvoir faire du social, on va faire du pénal. Faute de respecter le droit au travail, on va surveiller et punir les chômeurs qui ne rentrerons pas dans le rangs des sous emplois proposés par Borloo et d’autres : c’est bien un dispositif de mise au sous-travail forcé qui se met en place (souvenons nous du RMA).

La guerre préventive aux pauvres

Prévenir la délinquance c’est donc sanctionner avant que les délinquants potentiels puissent agir, c’est la même démarche idéologique que la guerre préventive de Bush.

Et c’est là que l’on trouve un second glissement : la lutte préventive contre les délinquants potentiels ne relève plus de la justice qui se contente de sanctionner les délits commis, mais de la police administrative. C’est à dire la police de maintien de l’ordre public dans la rue qui agit en dehors du judiciaire à la seule dispositif des autorités administratives.

Dans le cadre de la recomposition de l’appareil d’Etat (décentralisation), c’est le maire qui a été retenu pour exercer cette autorité. L’avantage est aussi que ce niveau appairait comme le lieu d’une simple gestion technique et non politique des affaires de la cité : cette technicité masque mieux le glissement vers une conception autoritaire du pouvoir politique que défendent nos libéraux.

Aujourd’hui il ne s’agit plus (ou moins) d’interdire manifestations et réunions publiques susceptibles de troubler l’ordre public, il s’agit de lutter contre un ennemi moins identifié : ce sont des populations entières qui sont considérées comme « classes dangereuses » et doivent être surveillées et contrôlées.

Pour donner aux maires les moyens , l’idée que l’on retrouve partout est de mettre à la disposition du maire, « mis au centre du dispositif », l’ensemble des services publics ou privés associatifs concernés. La subordination de ces services ne sera pas directe - ils restent du ressort du ministre de la cohésion sociale ou de l’’éducation nationale - mais se fera pas le biais d’une disposition clé : le secret professionnel partagé ou limité.

Jusqu’à présent ce qui prévalait c’est le respect de la vie privée inscrit dans le code civil ; la violation de ce secret était sanctionné par le code pénal. Seul un nombre restreint de crimes étaient soumis à l’obligation de dénoncer mais dans un cadre pénal strictement encadré.

Ici Sarkosy et Benisti veulent nous imposer l’obligation de dénoncer tout comportement ou toute situation suspecte, le tout entendu dans un sens très large (toutes difficultés y compris matérielles disait Sarkosy) Il s’agit d’organiser, au profit des pouvoirs publics et de l’ordre social, la fin du droit à la vie privée de tous ceux qui en raison de leur situation sociale ( pauvreté, chômage) sont considérés comme dangereux. Les expérimentations qui se font montrent bien que ce sont les populations précarisées,exclues par le système économique libéral qui sont les cibles.

Il y a dans ces dispositions une atteinte à notre savoir faire, à notre identité professionnelle de travailleurs sociaux et d’éducateurs par une subordination à la police aux dépens de ce que nous considérons être notre mission auprès des gens en difficulté.

Mais il y a aussi une atteinte aux notions fondamentales d’égalité par l’organisation de la ségrégation d’une partie de la population qui doit nous faire réagir en tant que citoyens.

Voilà pourquoi il faut poursuivre et intensifier la lutte contre le rapport Benisti.

21 février 2005


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