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Les hôpitaux psychiatriques sont des lieux de non-droit

Le déclin de la psychiatrie française

Emmanuel Digonnet est un ancien infirmier de secteur psychiatrique.

Après plus de vingt ans d’exercice, définitivement dépité par les orientations prises par le service public de « psychiatrie », il a démissionné.

Si Emmanuel ne pratique plus, il parle par contre très bien de son ancien métier, des évolutions de la profession, et des raisons qui l’ont poussé à ne plus l’exercer.

Pour mieux comprendre les enjeux pour les libertés et la santé publique.

 

Entretien.( extraits)..avec Emmanuel Digonnet

(...) De 1982 à 1998, j’ai accompagné et participé à toute une évolution de la psychiatrie, symbolisée par la fermeture d’hôpitaux psychiatriques. Se développait en effet un pôle extra-hospitalier, avec pour ambition de déplacer le soin dans la Cité, auprès des gens. Des patients habituellement hospitalisés pouvaient enfin vivre chez eux, en voyant un infirmier régulièrement. D’autres, adressés par des assistants sociaux et des médecins généralistes, fréquentaient les centres d’accueil thérapeutiques nouvellement ouverts : il s’agissait de petites unités de soins, avec quelques lits d’hospitalisation, une équipe d’infirmiers et des médecins. Nous y effectuions le même travail qu’à l’hôpital, mais avec une plus grande souplesse. Notamment parce que nous étions peu ou prou situés en bas des immeubles où habitaient les patients - et non à trente kilomètres en banlieue parisienne, « là où on met les fous ». Être admis en hôpital psychiatrique a toujours été compliqué, se faire traiter dans ces centres était beaucoup plus simple.

Ces centres d’accueil et de soins offraient donc une réelle proximité et une vraie disponibilité. Ils changeaient du même coup l’image de la psychiatrie chez les patients, qui acceptaient plus naturellement d’être suivis et honoraient davantage leurs rendez-vous. (...)

Pour les infirmiers aussi, les choses étaient différentes en centre d’accueil : nous étions autonomes. Il ne s’agissait pas seulement d’appliquer les prescriptions du médecin, mais d’effectuer un réel travail collectif. Nous échangions avec le reste de l’équipe, et nous pouvions donner des rendez-vous ou recevoir les patients. Une période grisante.

Elle n’a pas duré ?

La situation a commencé à se dégrader au début des années 1990, avec le développement d’une gestion purement comptable de l’hôpital. (...)

Au début des années 1990, on a aussi assisté à l’introduction dans les hôpitaux de la « démarche qualité » - pure importation de l’industrie - avec son lot de protocoles et procédures. Procédure pour un patient qu’on accueille, procédure pour un patient qu’on emmène en chambre d’isolement, etc... C’est rassurant : tu remplis des formulaires, tu coches des cases ! Peu importe que des termes comme « phobie » ou « obsession » n’aient pas de frontières étanches, puisqu’il s’agit de créer une classification des maladies mentales pour que les gestionnaires puissent s’y retrouver. L’idée est de coder le patient. Aujourd’hui, un malade est 810.12 - « alcoolique à tendance dépressive ». C’est idiot : avant d’être « alcoolique à tendance dépressive », le patient est d’abord un homme ou une femme, qui a cinquante ans ou dix-huit, qui a tel passé, tel parcours...(...)

Derrière tout cela, il y a l’idée de ne pas reconnaître la spécificité de la maladie mentale. Il est beaucoup plus simple de se dire que la schizophrénie est un virus ou un problème génétique contre lequel il suffit d’inventer un médicament. D’autant que cette vision des choses est soutenue par des laboratoires pharmaceutiques - eux-même en partie à l’origine de cette classification des pathologies, pour pouvoir dire : « Tel type de maladie ? Tel médicament ! » Avec des résultats parfois désastreux. (...)

Aujourd’hui il y a des mouvements de résistance à cette casse du service public de psychiatrie, impulsés par les soignants ou les patients, voire par leurs familles. Mais ils se heurtent à deux écueils majeurs. Les guerres de chapelles, si chères à des générations de psychiatres prompts à s’excommunier pour soigner leurs égos. Et l’image de la maladie mentale auprès d’une population qui, faute d’information, n’est pas prête à accepter la libéralisation des soins et la présence de malades mentaux dans les rues.(...)

L’entretien complet à lire :

http://www.article11.info/spip/Emma...

11 mai 2011


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