Les dirigeants allemands ont rejeté la
procédure référendaire pour l’adoption du texte du traité
constitutionnel européen. Le déplorez-vous ?
Horst Schmitthenner. Je le regrette beaucoup parce
qu’il existe dans cette constitution des choses totalement
inacceptables. Je pense notamment à ces dispositions qui conduisent à
une militarisation de l’Union européenne. Et surtout à « la
concurrence libre et non faussée » qui y est inscrite,
c’est-à-dire l’économie de marché sans entrave, la totale liberté de
manoeuvre pour le capital. Ainsi la lutte que nous avons conduite chez
Opel [contre les charrettes de licenciements - NDLR] ou la résistance
que nous organisons contre la mise en cause des acquis sociaux
deviendraient bien plus difficiles encore si le texte était adopté. La
ratification par la voie parlementaire empêche un vrai débat public où
les gens puissent prendre conscience de l’importance de ce qui est en
jeu. Les démontages sociaux, la concurrence exacerbée entre les lieux
de production avec ce chantage aux délocalisations pour obtenir des
baisses de rémunérations ou l’allongement du temps de travail, ce sont
des choses que subit la population depuis plusieurs années. Cela génère
beaucoup de souffrances. Mais, le débat n’ayant pas lieu, les gens
souvent ne font pas le lien avec la construction européenne néolibérale
ou le texte de la constitution et les dangers qu’elle induit d’une
accélération de ces phénomènes. Même si les choses sont en train
d’évoluer et qu’un mouvement critique commence à s’affirmer dans les
syndicats.
Quel est l’écho des débats du référendum français outre-Rhin ?
Horst Schmitthenner. Il parvient de plus en plus
nettement jusqu’ici, en particulier depuis l’irruption des sondages -
favorables au « non ». Cela joue un rôle indiscutable dans
l’émergence de discussions plus critiques au sein des syndicats.
Jusqu’alors, aux yeux de nombreux cadres syndicaux, le chapitre 2 du
texte sur les droits fondamentaux permettait, à lui seul, de justifier
une approbation. Car il n’apparaissait pas clairement que ces droits
sociaux n’ont pas de caractère véritablement contraignant de telle
sorte qu’il n’est pas du tout garanti que les - salariés européens
puissent disposer, comme indiqué, d’un droit de grève sans restriction
ou de l’autonomie tarifaire, etc. Cette méconnaissance a reculé à la
faveur des discussions dans votre pays. C’est pourquoi je considère
qu’un « non » français serait fantastique. Car il
contribuerait à accélérer encore ces prises de conscience. Et il
permettrait du coup à tous les Européens, et à nous en particulier en
Allemagne, d’exiger avec vous la renégociation d’un tout autre texte.
Et où se situeraient alors les syndicats allemands ?
Horst Schmitthenner. Je suis persuadé que si un
« non » devait finalement l’emporter en France, cela ne
signifierait pas l’irruption du chaos en Europe et l’impossibilité pour
les syndicats de s’entendre sur un socle de revendications communes.
Tout au contraire, cela provoquerait une inflexion des rapports de
forces en faveur des salariés et plus généralement de la majorité des
populations. Les débats sur l’Europe sociale pourraient être
formidablement relancés par un rejet du texte, et je pense qu’alors des
coopérations bien plus fructueuses seraient possibles entre syndicats
européens. Ils pourraient ainsi mener une nouvelle réflexion sur une
constitution qui place bien l’homme au centre des préoccupations et non
le capital.
Tout un débat a eu lieu en France autour de la
directive Bolkestein et du dumping social. En introduisant un système
de jobs à 1 euro de l’heure, le pays le plus - développé d’Europe ne
participe-t-il pas lui-même à ce dumping social ?
Horst Schmitthenner. Bien évidemment, vous avez raison,
c’est une participation à ce dumping social. Cette décision qui
consiste à construire un secteur à bas salaire et d’introduire un
système de jobs à 1 euro (1) de l’heure n’est pas seulement redoutable
pour les chômeurs, contraints d’accepter ces conditions, il l’est pour
l’ensemble des salariés. Car ces bas salaires ou ces jobs à 1 euro sont
attribués de plus en plus souvent pour des tâches qui correspondent à
des emplois réguliers. Et l’ensemble du système salarial est ainsi tiré
vers le bas. La constitution est rédigée de telle manière qu’elle
« normalise » en quelque sorte cette course au moins-disant
salarial.
Votre gouvernement joue aussi la carte du dumping
fiscal puisqu’il vient de décider de ramener l’impôt sur les - sociétés
à 19 %, un niveau record parmi les pays les plus développés. Quelles en
sont les conséquences prévisibles et selon vous, cette démarche se
situe-t-elle aussi dans la logique du texte constitutionnel
européen ?
Horst Schmitthenner. Il est tout à fait clair
effectivement que l’État s’appauvrit en renonçant à ces rentrées
fiscales. Et ensuite, il argue que ses caisses sont vides pour ne plus
donner de subvention afin d’équilibrer les déficits de l’assurance
chômage, ce qui le conduit à programmer de nouvelles réductions des
prestations. De la même façon, le soutien aux caisses d’assurances
vieillesse n’est plus possible, etc., etc. Il est clair, et cette fois
pour l’ensemble du mouvement syndical allemand, que ces baisses
d’impôts ouvrent la porte à de nouveaux démontages sociaux. Avec la
constitution, cette concurrence fiscale acquerrait une légitimité
européenne et la porte serait définitivement ouverte à un nivellement
des taux d’imposition du capital vers le bas. Si on voulait réellement
d’une Europe sociale, il faudrait que la constitution puisse au
contraire décréter l’interdiction de ce dumping fiscal en érigeant, par
exemple, un seuil minimum d’imposition valable pour tous les pays.
Entretien réalisé par
Bruno Odent
(1) « Le système des jobs à 1 euro », introduit en même temps que la récente réforme du marché du travail, oblige
tout chômeur de longue durée à accepter un « emploi » dit d’utilité publique
s’il veut continuer à toucher l’aide sociale (environ 350 euros). Moyennant quoi,
s’y ajoute la rémunération d’1 euro
à l’heure.